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La vie des objets

Collection
Josephine Baker

Les objets que renferme la collection de la SKG ont leur histoire – et même des histoires à raconter. Et nous? Quelles questions avons-nous à leur poser? Que pouvons-nous apprendre d’eux? Des étudiant-e-s en anthropologie culturelle de l’université de Bâle ont analysé une sélection d’objets et en ont rédigé des « biographies ».

Un autre regard sur la collection

Un autographe en témoigne: la célèbre chanteuse, actrice et danseuse Joséphine Baker (1905-1975) a tenu cette carte postale entre ses mains. Et la boucle de cheveux de la reine Marie-Antoinette (1755-1793) est un reste du corps d’une personne qui a vécu la Révolution française sans y survivre. Ainsi, la collection réunie par Bruno Stefanini renferme un grand nombre d’objets dits «icônes de contact», des objets ayant appartenu à une célébrité historique et qui manifestent un lien intime entre eux-mêmes et la personne. Au semestre de printemps 2023, Konrad Kuhn, chargé d’enseignement à la section Science culturelle et ethnologie européenne de l’université de Bâle, a placé la collection de la SKKG au cœur de son séminaire «Vergegenwärtigte Zeit in Dingen? Erkundungen in einer Privatsammlung».

Avec l’aide de Domingo Ramos, collaborateur scientifique attaché à la collection de la SKKG, Konrad Kuhn et ses étudiant-e-s ont exploré les différents dépôts de biens culturels de la fondation. A la différence des historiens de l’art ou des curateurs et curatrices, les anthropologues culturels s’intéressent à des objets qui ne relèvent pas de la haute culture, à ces choses très diverses qui ont marqué la vie et le travail quotidiens des êtres humains à différentes époques.

Ce sont donc des objets « banals » à première vue, qui permettent pourtant aux scientifiques d’en apprendre beaucoup sur les personnes et les sociétés qui les ont utilisés, aimés et soignés. Comment les gens s’organisent-ils avec les objets qui les entourent? Quelle importance leur accordent-ils? « Les réponses à ces questions peuvent diverger. Les objets n’ont pas de signification stable, mais ils prennent le sens, variable, qui leur est attribué par les personnes qui les utilisent », explique Konrad Kuhn. La «biographie d’objet» est à la fois une approche théorique et une méthode par laquelle les anthropologues culturels étudient les fonctions matérielles et les rôles sociaux des objets.

Haarlocke
Widmung Baker

La biographie du médaillon

Le terme de « biographie » doit être compris comme une métaphore. Il est utilisé pour montrer que la recherche ne se contente pas d’analyser les altérations subies par le matériel et d’étudier les changements de mains (recherche de provenance). Les chercheuses et chercheurs vont au-delà et intègrent par exemple la signification culturelle des objets, laquelle peut varier. Au cours du séminaire, les étudiant-e-s ont lu et discuté des textes, ils et elles ont visité les dépôts de la SKKG et rédigé des biographies sur quelques objets sélectionnés.

Il en a résulté, entre autres, un travail sur les cartes autographes de Joséphine Baker, la biographie d’un médaillon avec une mèche de cheveux de la reine Marie-Antoinette et une étude des catalogues de vente aux enchères laissées par Bruno Stefanini. Sur la base des autographes de Joséphine Baker, la «commercialisation» de personnalités célèbres par l’image et le texte peut être étudiée. La boucle de cheveux de Marie-Antoinette est devenue plus tard la propriété de l’impératrice «Sisi» d’Autriche; elle donne ainsi l’occasion de réfléchir aux réseaux de parenté de la noblesse et à l’importance de ces relations pour la légitimation d’une monarchie. Le travail qu’une étudiante a consacré à d’anciens catalogues de vente aux enchères a suscité des interrogations au sein de la SKKG quant aux intentions de Bruno Stefanini. Celui-ci a-t-il par exemple corrigé des fautes d’orthographe et de grammaire dans ces textes parce qu’il envisageait de les réutiliser plus tard pour son futur musée?

 

« Les universités et les scientifiques doivent pouvoir accéder à des collections pour assurer leur mission d’enseignement et mener leurs recherches. [...] Les étudiant-e-s ont pu directement entrer en contact avec les objets, sur place même. Cela a été pour elles et eux une expérience extraordinaire. »

Konrad Kuhn, Anthropologue Culturel

Haarlocke Brief

Sans être un musée, ce n’est pas non plus une boîte noire

La SKKG n’envisage pas d’exploiter son propre musée, ni d’ouvrir ses dépôts au public. Elle rend sa collection accessible en prêtant des objets pour des expositions organisées en Suisse et à l’étranger. Les portes de ses dépôts sont toutefois ouvertes sur demande à la communauté scientifique. «Les universités et les scientifiques doivent pouvoir accéder à des collections pour assurer leur mission d’enseignement et mener leurs recherches. Les collections privées sont très souvent de véritables boîtes noires. Pour la SKKG, c’était le contraire: la collaboration avec elle était marquée par un intérêt mutuel et par un esprit très ouvert. 

Les étudiant-e-s ont pu directement entrer en contact avec les objets, sur place même. Cela a été pour elles et eux une expérience extraordinaire», précise Konrad Kuhn. Les icônes de contact que recèle la collection de la SKKG ont le pouvoir d’activer une interaction émotionnelle entre fascination et irritation. Les étudiant-e-s se sont donc posés de nombreuses questions, auxquelles Domingo Ramos et ses collègues ont pu répondre. Mais beaucoup d’autres choses restent inexplicables.